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Que fait l’Europe en faveur de l’égalité femmes-hommes au travail ?

Les Dossier ESG des Surligneurs, les vulgarisateurs juridiques

Que fait l’Europe en faveur de l’égalité femmes-hommes au travail ?

La Commission européenne a-t-elle abandonné ses ambitions réformatrices sur le sujet de l’égalité femmes-hommes ?

Le 8 mars, à l'occasion de la Journée internationale des droits des femmes, l’exécutif de l’UE a présenté en la matière une « feuille de route » ayant laissé certains sur leur faim. Sept « objectifs politiques de long terme » sont certes proclamés, dont trois dans le champ du travail : 

  • « la rémunération égale et l’émancipation économique », 
  • « l’équilibre travail-vie privée », 
  • ainsi que « l’emploi égal et les conditions de travail convenables ».

Mais pour les actes, il faudra attendre, regrette Mélissa Camara, eurodéputée écologiste française : « Face aux attaques répétées contre les droits des femmes (...), la Commission avait une opportunité majeure de réaffirmer son engagement en faveur de l’égalité. En dépit d’une communication qui se veut porteuse de progrès, les engagements concrets sont bien moins présents », pointe cette élue, coordinatrice du groupe Verts/ALE sur les questions liées aux droits des femmes.

Une ambition limitée

Pour d’éventuelles futures initiatives législatives, la nouvelle Commission renvoie à une « stratégie pour l’égalité de genre post-2025 », qui devrait être présentée dans le courant de cette année. Signe peu encourageant, en ce début de mandat, l’exécutif tend à se retrancher derrière ses compétences limitées dans la sphère sociale : « La pleine réalisation des aspirations énoncées dans cette Feuille de route dépasse les compétences de l'UE et doit s'appuyer sur les actions au niveau national », lit-on dans le document. La problématique est réelle, les débats sur les limites à la compétence de l’Union en matière de rémunération minimale ayant fait rage à l’occasion de l’adoption de la directive sur les salaires minimaux en 2022.

La compétitivité, et la simplification bureaucratique en faveur des entreprises, les deux grandes priorités économiques de l’Union, dissuaderont-elles la Commission de proposer davantage de règles contraignantes en faveur de l’égalité femmes-hommes dans le monde du travail ? Possible. Dans sa feuille de route, l’institution s’évertue à démontrer que « la promotion des droits des femmes n'est pas seulement un impératif moral, mais aussi un investissement stratégique dans la croissance économique et la compétitivité de l'UE ». 

« Les projections montrent que l'amélioration de l'égalité de genre pourrait augmenter le PIB par habitant de l'UE de 6,1 à 9,6 % d'ici 2050, soit un montant impressionnant de 1,95 à 3,15 billions d'euros » grâce notamment à de plus hauts niveaux d’emploi, indique le document. Celui-ci rappelle au passage, chiffres à l’appui, que « les entreprises affichent des profits plus élevés et de meilleures performances boursières lorsque les femmes occupent des postes de direction ».

Difficile, donc, de lire les intentions de Bruxelles à ce stade. Par le passé, et notamment lors de son précédent mandat (2019-2024), la Commission européenne a cherché à tirer le maximum des compétences de l’UE pour pousser le droit vers plus d’égalité dans le monde du travail.

Les effets de plusieurs législations majeures récemment adoptées par les co-législateurs de l’Union ne se feront d’ailleurs sentir que dans les prochains mois. C’est le cas de la directive du 10 mai 2023 qui doit aider les femmes à réclamer les mêmes émoluments que leurs homologues masculins, en forçant les entreprises à faire une très large transparence sur leurs politiques en matière de rémunération. 

« Une petite révolution »

Selon les derniers chiffres de l'Insee publiés mardi 18 mars, en 2023, les hommes gagnent en moyenne 22,2 % de plus que les femmes. À temps de travail égal, le chiffre est encore à 14,2 %. Cette inégalité pénalise aussi les retraites des femmes, inférieures de 30 % à celles des hommes, selon des chiffres de 2018.

Cette directive, qui doit être transposée dans les droits nationaux au plus tard le 7 juin 2026, constitue « une petite révolution », selon Les Echos. Afin de mieux armer le sexe sous-représenté lors des premières négociations à l’embauche, le texte prévoit entre autres via son article 5 que « les candidats à un emploi ont le droit de recevoir, de l’employeur potentiel, des informations sur la rémunération initiale ou la fourchette de rémunération initiale, sur la base de critères objectifs non sexistes, correspondant au poste concerné (...) ». Ou encore, pour que les inégalités passées ne se perpétuent pas, (…) les employeurs auront interdiction de demander aux candidats « leur historique de rémunération au cours de leurs relations de travail actuelles ou antérieures ».

Au sein de l’entreprise, la directive, en son article 7, fait de la transparence des rémunérations « un droit à l’information » permanent en faveur des salariés : ils pourront s’informer directement ou par le biais de leurs représentants, et recevoir par écrit « les niveaux de rémunération moyens, ventilés par sexe, pour les catégories de travailleurs accomplissant le même travail qu’eux ou un travail de même valeur que le leur ».

Ce n’est pas tout : des obligations plus lourdes pèseront sur les sociétés de plus de 100 salariés. D’abord, celle de communiquer l’écart de rémunération entre travailleurs féminins et travailleurs masculins à un ensemble de destinataires : non seulement les salariés et leurs représentants, mais aussi une autorité nationale compétente, ainsi que, sur demande, l’inspection du travail et l’organisme pour l’égalité (en France, le Défenseur des droits).

L’intérêt ? Lorsque les données communiquées révèleront une différence de niveau de rémunération moyen d’au moins 5 %, les employeurs devront procéder à une évaluation conjointe des rémunérations avec les représentants du personnel. Cette évaluation devra être effectuée pour « recenser, corriger et prévenir » les différences de rémunération entre les travailleurs féminins et les travailleurs masculins, indique l’article 10.

Un renversement de la charge de la preuve

Ainsi, ce texte ne se limite pas à la transparence : il cherche aussi à faciliter l’accès à la justice en cas de discrimination. La directive met en place un droit à l’indemnisation (article 16) pour tout travailleur ayant subi un dommage du fait d’une violation du principe de l’égalité des rémunérations avec un renversement de la charge de la preuve (article 18). « En effet, il incombera au défendeur, dès lors qu’il existe des faits laissant présumer l’existence d’une discrimination directe ou indirecte, de prouver qu’il n’y a pas eu de discrimination en matière de rémunération », résumait la Direction des Affaires juridiques de Bercy dans un communiqué publié en juin 2023, juste après l’adoption définitive. Un mécanisme qui rappelle ce qui avait été initié, avec des résultats encourageants, par la directive de 1976 sur l’égalité de traitement entre femmes et hommes au travail.

« L’ensemble, imposant, de ces dispositions procédurales constitue une réduction considérable, sans précédent, de l’autonomie des États, dans ce domaine », estime Sophie Robin-Olivier, professeure à l’École de droit de la Sorbonne, spécialiste de droit social international et européen dans un article publié sur « le Club de Juristes ».

Parmi les législations qui promettent de faire progresser l’égalité dans la sphère du travail, on peut aussi citer la directive du 23 novembre 2022 sur la place des femmes dans les conseils d’administration des grandes entreprises et des sociétés cotées. Cette directive dite « Women on boards » requiert d’ici fin juin 2026 qu’au moins 40 % des postes d'administrateurs non exécutifs soient occupés par des femmes et au moins 33 % de tous les postes d'administrateurs.

En France, l’un des pays les plus avancés au monde sur ce sujet-ci, grâce à la loi « Copé-Zimmermann » de 2011, la transposition de la directive effectuée via l’ordonnance du 15 octobre 2024 a modifié le droit à la marge. En revanche, dans le reste de l’UE, où les chiffres sont très variables en fonction de l’existence préalable de quotas, ou non, cette directive, qui était restée bloquée dans les limbes du Conseil de l’UE pendant 10 ans avant d’être finalement adoptée, pourrait constituer une petite révolution. Pas certain, toutefois, que de nouvelles législations de ce type émanent de Bruxelles de sitôt.