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Lutte contre le greenwashing : les clés des négociations en cours à Bruxelles

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Lutte contre le greenwashing : les clés des négociations en cours à Bruxelles

Des négociations ont débuté ce mardi 28 janvier à Bruxelles sur un projet de directive ambitieux visant à combattre le greenwashing.

La grande nouveauté serait de contraindre les entreprises à faire contrôler le caractère scientifiquement étayé de leurs allégations écologiques par des organismes indépendants, chargés le cas échéant de leur délivrer un « certificat de conformité ». Mais les négociations finales s’annoncent délicates entre les co-législateurs de l’UE. Décryptage by Les Surligneurs.

D’importants pourparlers ont démarré ce mardi 28 janvier à Bruxelles afin de finaliser le projet de directive «sur les allégations environnementales explicites » ('green claims directive'), un texte ambitieux visant à lutter contre le greenwashing. Produits « éco » ou « verts », « respectueux de l’environnement », « neutres en carbone », « à zéro émission nette », ou encore comprenant « 30% de contenu recyclé ». … Une étude publiée en 2020 par la Commission européenne estimait que 53% de ce type d’allégations écologiques étaient «  vagues, trompeuses ou infondées  ».

L’UE a certes déjà légiféré en la matière. Mais ce nouveau projet, proposé en mars 2023 par la Commission doit sensiblement durcir le droit européen, en ajoutant une série d’exigences spécifiques quant à la justification, la communication et la vérification des labels environnementaux et autres allégations écologiques, épargnant toutefois les microentreprises (moins de 10 salariés et moins de 2 millions d’euros de chiffre d’affaires).

La grande nouveauté serait de contraindre les entreprises à faire contrôler le caractère scientifiquement étayé de leurs allégations en amont : avant que les allégations en question soient communiquées sur l’emballage du produit, via le site internet de la société, ou encore dans une publicité, etc.

Des « organismes indépendants accrédités » par les Etats membres seraient ainsi chargés de contrôler qu’une étude suffisamment robuste appuie l’affirmation en question et le cas échéant de délivrer aux entreprises un « certificat de conformité ».

Les grands principes

L’article 3 de la proposition de directive liste plusieurs grands principes au cœur du processus de justification par les entreprises, puis de vérification par ces tiers. Par exemple : veiller à ce que les entreprises ne présentent pas comme une caractéristique distinctive de leur offre des exigences imposées par la loi ; ou bien garantir qu’elles ne fassent pas la publicité de pratiques étant en réalité courantes sur le marché concerné. Il s’agit en outre de démontrer que la performance environnementale mise en avant ne va pas de pair avec des conséquences négatives à un autre stade du cycle de vie du produit.

Typiquement : « des réductions des émissions de CO2 lors de la fabrication entraînant une augmentation notable des émissions de CO2 au cours de l’utilisation », note la Commission dans sa proposition.

« Ces exigences sont assez génériques et restent ainsi relativement ouvertes sur la méthodologie que peuvent utiliser les entreprises pour justifier leurs allégations - même si la Commission pourrait par la suite donner des précisions via des législations techniques », pose Blanca Morales Bailón coordinatrice sur les labels écologiques au Bureau européen des unions de consommateurs (BEUC).

« Reste que le grand apport du projet serait d’introduire une vérification ex ante - avant la mise sur le marché - de la robustesse des études étayant l’allégation, ce qui devrait ensuite faciliter le travail des autorités de surveillance des marchés, confirme cette diplômée en Sciences de l’environnement. Jusqu’ici les entreprises pouvaient avoir recours à ces allégations sans fournir de preuves à moins de faire l’objet de plaintes devant la justice après coup ».

« Même en France, où le droit en la matière est assez avancé comparé au droit européen, un tel dispositif constituerait une grande progression, abonde Corentin Chevallier, associé expert en droit de l’environnement chez UGGC Avocats. Nous avons certes des sanctions importantes prévues contre les pratiques de greenwashing notamment au titre du droit de la consommation et du droit de l’environnement. Mais là il s’agirait de démontrer en amont le sérieux, la véracité, et la capacité à apporter des preuves techniques de ces affirmations ».

Un débat législatif qui s’annonce ardue

Cependant, la directive est encore loin d’être adoptée. Les deux co-législateurs, le Conseil de l’UE et le Parlement européen espèrent conclure les négociations finales d’ici juin prochain. Celles-ci s’annoncent toutefois ardues : le Conseil, l’institution réunissant les ministres des Etats membres, qui a adopté sa propre copie en juin dernier, affiche en effet une ambition bien plus faible que celle du Parlement, lequel avait pris position dès mars 2024.

Le principal recul proposé par le Conseil serait d’autoriser dans certains cas les entreprises à déroger à l’obligation de vérification par un organisme indépendant. Elles pourraient alors se contenter d’une « autodéclaration » en remplissant un « formulaire technique spécifique », relève Blanca Morales Bailón.

« Pour certaines allégations environnementales étant d’une nature moins complexe, la vérification par un tiers ou bien une justification complète n’est pas considérée comme nécessaire (…) », lit-on en effet au considérant 26 a du tableau à quatre colonnes -  le document exposant les positions de négociation de chaque institution, disposition par disposition.

Les types d’allégations potentiellement éligibles à cette exemption sont ensuite listées par le Conseil, au sein du même paragraphe. « L’objectif est de réduire les charges administratives et financières pesant sur les commerçants générant les allégations », justifie l’institution.

Un autre point de désaccord concerne les sanctions. « Dans sa proposition initiale, la Commission avait été très explicite sur les pénalités minimales à prévoir par les Etats en cas d’infractions. Listées à l’article 17, celles-ci devaient aller, en fonction de la gravité, jusqu’à la privation de l’entreprise d’accès aux marchés publics ou bien des amendes au maximum de 4% du chiffre d'affaires annuel, précise Blanca Morales Bailón. Sauf que le Conseil a supprimé l’article 17 dans sa propre copie », laissant aux États membres une grande liberté pour déterminer la gravité de la sanction à imposer.

Quel sera le niveau de transparence exigé des entreprises ?

Les négociations risquent enfin d’achopper au sujet du niveau de transparence exigé des entreprises : la proposition initiale de la Commission prévoyait que celles-ci donnent aux consommateurs des informations assez détaillées sur la justification de leurs allégations via un lien internet ou un QR code, par exemple.

« Le Parlement et la Commission sont plutôt d’avis qu’un accès aux études scientifiques soit fourni directement, quand le Conseil propose de se limiter à un bref résumé avec la possibilité pour les consommateurs ou la société civile de faire des demandes ultérieurement pour avoir de plus amples informations », détaille Blanca Morales Bailón du BEUC, une fédération regroupant 44 associations de consommateurs issues de 31 pays européens.

L’objectif du Conseil : « s’assurer que la communication ne surinforme pas les consommateurs, avec un impact négatif sur leur compréhension ou une charge indue sur les entreprises », est-il justifié dans le document à quatre colonnes.

Il y a fort à parier que la copie finale se rapprochera de la version du Conseil, sans qui le Parlement ne peut faire aboutir la proposition législative, a fortiori dans un moment politique où l’UE a pour priorité de réduire les « normes administratives » pesant sur les entreprises.

Article rédigé par Clément Solal, journaliste et Vincent Couronne, Docteur en droit européen